Les oubliés de Marawi

Populations déplacées par le conflit dans le sud des Philippines en proie à l’errance et l’incertitude

Médecins Sans Frontières

Lorsque le nombre de patients confirmés positifs à la Covid-19 a commencé à croître en mars 2020, les Philippines ont rapidement instauré le confinement de la population. En juillet 2020, le coronavirus semble avoir été contenu dans la ville de Marawi et aucune transmission locale n’est plus enregistrée depuis des mois. Mais les mesures de préventions mises en place ont considérablement affecté le quotidien des personnes déplacées à Marawi et ses alentours.

Le ville de 200 000 habitants est située dans la région autonome musulmane de Bangsamoro sur l’île de Mindanao, dans le sud des Philippines. 2014 a sonné la fin d’un conflit de cinquante années mais la situation politique reste volatile. La région, actuellement - jusqu’en 2022 - en transition vers une autonomie plus importante vis-à-vis des Philippines, présente les indicateurs sanitaires et économiques les plus faibles du pays. La situation politique a longtemps été instable et les conflits n’ont cessé de se développer jusqu’en 2017. Depuis, des épidémies de rougeole, de dengue et de polio se sont succédées et certaines se sont propagées au niveau national.

Marawi est la seule ville des Philippines à dominante musulmane dans un pays majoritairement catholique. « Dès le début de l’urgence sanitaire, les habitants de Marawi ont observé un strict respect des mesures de prévention, en espérant que le confinement serait levé avant le Ramadan. Cela n’a pas été le cas et les gens ne pouvaient pas se rendre à la mosquée. Certaines personnes étaient contrariées, d’autres remettaient en question cette décision, car très peu de cas d’infections ont été signalés dans la région », explique Chika Suefuji, coordinatrice du projet de Médecins Sans Frontières (MSF) à Marawi. « Nous avons cherché à discuter avec la communauté et les chefs religieux pour expliquer comment le virus se propage. Ils ont participé aux messages de prévention en demandant aux gens de respecter les gestes barrières. Cette approche a aidé à diffuser des informations précises et convaincre un plus grand nombre d’habitants. Dans l’ensemble, la population a suivi ces recommandations pour protéger leur famille et leur communauté, et cela a contribué à contenir le virus. », explique Chika Suefuji.

La pandémie de Covid-19 n’a jusqu’à présent pas sévèrement frappé la région, mais elle met un peu plus encore en difficulté les habitants de Marawi. Pendant la période de confinement, les consultations médicales dans les établissements de santé ont été suspendues. Des restrictions d’accès à l’eau potable ont été instaurées pour contenir la propagation du virus.

MSF a effectué des visites à domicile pour s’assurer de la continuité des traitements pour les patients souffrant de maladies non transmissibles telles que l’hypertension ou le diabète, particulièrement vulnérables à une infection. L’équipe a également mis en place des activités de prévention et d’information sur le virus et les bons gestes pour s’en protéger. A ce jour, aucune transmission locale n’a été signalée.

Marawi a été assiégée en mai 2017, lorsque des groupes liés à l’Etat Islamique (EI) ont tenté de prendre le contrôle. Un conflit a alors éclaté entre l’armée et les insurgés. Le siège a duré cinq mois et contraint près de 370 000 personnes à fuir leur domicile. Plus de trois ans plus tard, la ville est encore partiellement en ruines, certaines entreprises et marchés à l’abandon, détruits.

Aujourd’hui, le souvenir du siège est encore très présent. La famille d’Ajibah Sumaleg a dû fuir sa maison en quelques jours. Il n’en restait rien à leur retour, cinq mois plus tard.

Ajibah fait partie des nombreuses personnes qui ont vu leur vie bouleversée en un instant. Comme elle, Sobaida Comadug, 60 ans, se souvient de l’invasion de la ville. Ce jour-là, elle a perdu son mari, décédé suite à une crise cardiaque.

Les personnes déplacées par le conflit ont initialement été installées dans des tentes, en attendant la construction de centres d’évacuation et d’abris provisoires. Les dernières familles à avoir été placées dans ces logements n’ont déménagé qu’en janvier 2020.

Selon Sobaida Comadoug, 60 ans, les abris transitoires ne sont guère mieux que les tentes. « Il s’agit de logement temporaire. On nous a dit qu’ils avaient été construits pour cinq ans. Pensez-vous que le gouvernement va construire des abris plus durables ? Non ! » Sobaida a passé toute sa vie à Marawi. Elle décrit les défis quotidiens auxquels sont confrontées les personnes déplacées.

Ils sont désormais 70 000 à vivre dans ces abris temporaires, dans des conditions extrêmement précaires. 50 000 autres personnes seraient hébergées chez des proches. Sarah Oranggaga, a dû emménager chez ses frères et sœurs après avoir été forcée d’abandonner son magasin.

L’accès limité à l’eau potable rend la vie des habitants difficile. Chika Suefuji, coordinatrice du projet de MSF, s’indigne : « Les conditions de vie des gens sont effroyables. L’approvisionnement en eau est primordial mais la solution proposée est à peine suffisante et plus que temporaire. Rien n’est pensé sur le long terme. Les gens ici souffrent sans que personne ne s’en aperçoive. »

Dans les sites de transit, le manque d’eau, l’éloignement des marchés et le coût des denrées poussent la population à manger des repas prêts-à-l’emploi, alors que les médecins préconisent une nourriture saine en complément des traitements contre les maladies non-transmissibles, telles que l’hypertension et le diabète. « Il est plus difficile de cuisiner des repas sains. Nous sommes loins des vendeurs de fruits et légumes et même si on en trouvait, nous n’avons pas l’eau potable pour les laver ! » explique Sobaida.   

Selon l’organisme d’enquêtes d’état civil et des statistiques vitales, les maladies non-transmissibles sont responsables, en 2015, de 41,5% des décès, et dans la région autonome musulmane de Mindanao, l’hypertension et le diabète figurent parmi les dix pathologies les plus répandues.

Depuis le siège, l’accès aux soins de santé est limité. Seules 15 des 39 structures de santé de Marawi et ses environs fonctionnent actuellement ; nombre de centres de santé ont été détruits ou n’ont pas pu rouvrir. MSF a réhabilité quatre centres de santé après le siège pour répondre aux besoins de la population.

Aujourd’hui, MSF soutient trois centres de santé dans la région pour fournir des soins de santé mentale et traiter les maladies non transmissibles. Janoa Manganar, responsable de l’équipe médicale de Médecins Sans Frontières explique les principaux enjeux sanitaires de la région.

Il est essentiel pour la population et en particulier les patients souffrant de maladies non transmissibles que la propagation de la Covid-19 reste sous contrôle. MSF a formé des équipes dans les 72 barangays - quartiers - de la ville de Marawi sur les techniques de surveillance et de prévention en collaboration avec les autorités sanitaires locales.

Pendant le confinement en avril et mai, faute de travail, la population a dû faire face à des choix difficiles : utiliser le peu d’argent disponible pour la nourriture ou des soins de santé lorsqu’un membre de la famille tombe malade. Pour Diane, quels que soient les besoins de la famille, la priorité reste l’éducation des enfants.

La population de Marawi est toujours suspendue à un avenir incertain. La réhabilitation du quartier de Ground Zero, la zone centrale de Marawi, la plus touchée pendant le siège, n’a pas commencé. Aucun progrès n’est visible et près de trois ans après la fin du siège, nombreux sont ceux qui vivent toujours dans des abris temporaires, sans signe d’amélioration.

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